Par Amandine Hirou,publié
Comprendre Montaigne ou Epictète grâce aux films de Disney ? Conseils avant l’imminente épreuve de philosophie du bac.
Marianne Chaillan, professeur de philosophie au lycée Saint-Joseph, à Marseille, et auteur de plusieurs ouvrages sur la pop philo*, livre ses recommandations avant la première épreuve du bac.
L’EXPRESS. A quelques jours du bac, quels conseils donneriez-vous aux candidats en matière de révision ?
Marianne Chaillan. Je leur conseillerais, tout d’abord, de réviser à partir de leurs propres cours, le but étant de consolider la culture philosophique que l’enseignant les a aidés à acquérir pendant l’année. A ce stade, il n’est plus temps d’essayer d’attraper des pensées qu’on ne maîtrise pas. Mais attention au sens qu’on donne au mot “réviser” : il ne s’agit pas d’apprendre par coeur – ce qui serait contraire à la nature de l’épreuve -, mais de s’assurer qu’on a bien retenu les grands thèmes philosophiques ou les concepts essentiels.
Mon deuxième conseil serait de revoir la méthodologie propre à chacun des exercices, c’est-à-dire celle de la dissertation et celle de l’explication de textes philosophiques. Pour s’entraîner à problématiser rapidement les sujets, on peut aussi puiser dans les annales du bac. Une fois de plus, il n’est pas question d’apprendre par coeur les réponses, mais de s’entraîner à construire une problématique et un raisonnement propres. Aux élèves qui me demandent souvent s’il est important de citer beaucoup d’auteurs, je réponds que, même s’il faut bien sûr avoir un minimum de bagage, la philosophie n’est pas une épreuve d’érudition mais bien une épreuve de réflexion.
Quels sont les pièges à éviter à l’approche de l’épreuve ?
Il ne faut surtout pas succomber à la tentation de faire des impasses. Le fait que le programme se découpe en plusieurs notions comme, par exemple, le désir, le bonheur, la liberté ou la conscience, encourage ce travers malheureusement très classique. Ce conseil vaut pour toutes les autres disciplines mais, en philosophie plus encore qu’ailleurs, le danger de ce découpage serait de croire que la question posée le fameux jour J ne concerne qu’un seul de ces aspects.
Par exemple, pour répondre à la question “la vertu rend-elle nécessairement heureux ?”, certains seraient tentés de puiser uniquement dans leur cours sur le bonheur, d’autres uniquement dans celui sur le devoir… Ce qui serait totalement contre-productif, voire hors-sujet. L’important est de décloisonner et d’opérer un scan mental de tous ses cours pour aller y chercher différentes connaissances, en prenant bien garde de ne pas plaquer mécaniquement des réponses toutes faites, ce qui s’apparenterait à un refus d’obstacle. L’idée de cette épreuve étant, encore une fois, de montrer que l’on a compris le principe de la démonstration et des concepts.
Faut-il croire aux pronostics en tout genre ?
Surtout pas ! Chaque année, de nombreux sites internet peu scrupuleux abreuvent les candidats de prédictions ou de statistiques sur les thèmes susceptibles de tomber. Les croire équivaut à jouer au loto ! On entend aussi souvent que les sujets peuvent avoir un rapport avec l’actualité, ce qui est totalement faux. Pour la simple et bonne raison que les sujets sont choisis très en amont, dès l’automne. Tomber sur un sujet lié à l’actualité ne serait donc qu’un pur hasard.
Vous êtes une grande adepte de la “pop philo”. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?
Le but de la “pop philo” est de montrer que la philosophie n’est pas une science qui serait destinée à quelques intellectuels coupés du réel et qui s’exprimeraient dans un langage très abstrait pour le commun des mortels. Il s’agit de prouver que la philosophie entend au contraire penser le réel et qu’elle concerne tout le monde.
Pour cela je m’appuie sur la culture populaire, c’est-à-dire des chansons, des films, des séries, des dessins animés bien connus du grand public. Quand je me retrouve face à des élèves le jeudi à 16h, alors qu’ils ont déjà six heures de cours derrière eux, et que je dois leur expliquer la morale déontologique kantienne, le pari n’est pas gagné… Mais si je puise des exemples dans la série Game of Thrones, leur regard se lève immédiatement.
C’est en suscitant le désir, en allant chercher les élèves sur leur terrain, que l’on arrive à les intéresser. Les références à la pop culture ont, en outre, un gros pouvoir de fixation de la mémoire. Mes élèves, à qui j’ai expliqué tel thème de Nietzsche à travers Harry Potter, ne sont pas prêts de l’oublier.
Auriez-vous un exemple concret de notion philosophique explicable par la culture populaire ?
Récemment, j’ai expliqué à mes élèves que Disney, dans Aladdin, nous donne une grande leçon sur la question du bonheur. Au début de l’histoire, Aladdin tombe amoureux de Jasmine qui, rappelons-le, ne sait pas qui il est. Il l’amène chez lui, sur les toits d’Agrabah, et finit par se dévoiler tel qu’il est, c’est-à-dire un mendiant qui ne craint pas le regard de celle qu’il prend aussi pour une mendiante. Puis, lorsqu’il découvre qu’elle est princesse, Aladdin craint de ne pas être autant aimable. Quand il obtient la lampe et l’accès au génie, il fait donc le voeu de devenir un prince, entre dans Agrabah en fanfare en tant que prince Ali, mais Jasmine ne s’intéresse pas à lui. Puisqu’elle est amoureuse du mendiant Aladdin.
A la fin, celui-ci renonce à la lampe et libère le génie. Il réalise en fait une notion propre à la pensée de Montaigne, à savoir que le bonheur ne vient pas du dehors, par l’obtention ou la possession de choses qui nous feraient défaut. Montaigne appelle “insensés” ceux qui, comme Aladdin au début, pensent qu’ils ont besoin de ce qu’ils n’ont paspour être heureux. Avoir compris que rien ne nous sépare du bonheur que nous même, avoir compris que nous n’avons pas besoin de génie, c’est la clé du bonheur. Pour Montaigne et pour Aladdin.
En quoi la philosophie populaire peut-elle aider les candidats au bac ?
Elle permet de s’imprégner de thèses philosophiques sans se mettre la pression, en renouant avec la notion de plaisir, en mettant de côté l’aspect anxiogène. Cela peut paraître très étonnant, mais les messages véhiculés par l’histoire du Roi Lion ont bel et bien un lien avec les théories d’Epictète.
Attention toutefois : le jour du bac, je déconseille fortement d’évoquer Le Roi Lion, ou toute autre référence à la pop culture, dans sa copie ! Epictète oui, mais pas le Roi Lion. Le pop culture n’est qu’un outil de fixation de la mémoire. Personnellement, en tant que correctrice, cela ne me choquerait pas, mais tous mes collègues ne raisonnent pas de la même façon. Dans le doute, mieux vaut jouer la prudence et s’appuyer sur des références plus classiques.
* Ils vécurent philosophes et firent beaucoup d’heureux(Ed. des Equateurs, 2017) ; Game of thrones : une métaphysique des meurtres (Le Passeur éditeur, 2017) ; Harry Potter à l’école de la philosophie(Ellipses, 2015) ; La playlist des philosophes(Le Passeur éditeur, 2015).