À deux jours du bac, révisez la philo…grâce aux dessins-animés !

Par Aliénor Vinçotte

 

Plus que deux jours avant l’épreuve de philosophie qui donne, comme chaque année, le coup d’envoi du baccalauréat pour des milliers de lycéens français. Une épreuve souvent source de stress, tant la pensée des philosophes peut parfois sembler absconse. Qui d’entre nous peut se targuer de sortir aisément une citation de Descartes ? Ou d’expliquer la technique en s’appuyant sur Hans Jonas ? Pour aider ses élèves, Marianne Chaillan, professeure de philosophie à Marseille, a invoqué la culture populaire. Elle a publié de nombreux ouvrages sur son lien à la philosophie, dont Harry Potter à l’école de la philosophie (éd. Ellipses), sorti en 2015. A deux jours du bac, franceinfo l’a sollicitée pour vous faire réviser quatre notions du programme de philosophie grâce aux œuvres de Disney. Elle s’exprime ici librement. 

Si vous tombez sur “Comment parvenir à être heureux ?” : pensez au “Roi lion” (et à Epictète)

Plutôt que de vous replonger tous les week-ends dans vos fiches sur la philosophie stoïcienne, rappelez-vous de la chanson : Hakuna Matata. Lorsque Simba doit fuir le royaume des lions, il s’égare dans le désert et s’effondre inanimé. Timon et Pumbaa viennent à son secours. Revenu à lui, Simba ne témoigne nulle joie d’avoir été sauvé. Tandis que ses nouveaux amis l’interrogent, il leur apprend qu’il ne peut plus rentrer chez lui. Il a fait quelque chose d’épouvantable et, à défaut de pouvoir changer le passé, il n’y a rien à faire. Timon lui enseigne alors le mantra suivant : “Hakuna matata”, qui veut littéralement dire “pas de souci” !

C’est aussi une phrase imprégnée de stoïcisme. Pour ces philosophes de l’Antiquité, la philosophie obéit à une finalité très précise : nous donner les moyens d’être heureux. La philosophie est une thérapeutique qui, en soignant les maux dont nous souffrons, nous permet d’atteindre le bonheur, c’est-à-dire l’absence de troubles. Pour atteindre cet état, voici la prescription du philosophe stoïcien Marc Aurèle : il faut que nous apprenions à retrancher de notre esprit tout ce que les autres peuvent faire et dire. Ainsi, ce que penseront les lions de ce qu’a fait Simba ne doit pas le préoccuper. Inutile de ressasser la mort de son père, Mufasa. C’est du passé.

Il faut tout autant retrancher toutes les choses qui nous inquiètent pour l’avenir : le futur n’est pas encore. Il faut également ôter de notre esprit tout ce qui advient indépendamment de notre volonté. Si nous parvenons à circonscrire ainsi notre moi, alors notre pensée pourra être libérée des troubles. Nous pourrons nous bâtir une citadelle intérieure au milieu du désert. Si l’altérité est hostile au moi, il peut en se recentrant sur lui-même jouir même au cœur de l’adversité. Même en plein désert se trouve l’oasis. Le lieu où vivront Simba, Timon et Pumba, une oasis en plein cœur du désert, est tout sauf contingent. Il est symbolique de leur philosophie même.

“La technique peut-elle changer la condition humaine ?” : songez à “Wall-E” (et à Hans Jonas)

Imaginez une vaste décharge dont vous ne voyez plus le bout. Plus aucune vie humaine, plus rien sinon les détritus qui jonchent la surface entière de la planète. Plus de nature. Plus d’animaux. Plus de vie. Plus rien. Telle est devenue la planète Terre sur laquelle s’active un petit robot solitaire et attachant : Wall-E. Si la vision de la Terre comme décharge à ciel ouvert est terrifiante, celle de l’humanité abandonnée à la technologie ne l’est pas moins. A bord de l’Axiom, un vaisseau qui a quitté la Terre, les humains vivent rivés derrière des écrans. Ils ne se parlent jamais directement, mais toujours à travers la médiation d’un écran. Aucun effort, aucune interaction sociale, les humains sont devenus des loques avachies qui n’ont plus rien… d’humain.

À travers ce film, nous sommes initiés à la philosophie de Hans Jonas. Dans son livre Le Principe responsabilité, ce dernier soutient que l’augmentation et le perfectionnement de la technologie posent à l’humanité un type de problèmes éthiques inédits. Si, jadis, chaque génération pouvait trouver la Terre dans le même état que la génération précédente l’avait trouvée, nos interventions sur la nature produisent désormais des effets irréversibles. L’homme exerce son pouvoir sur la nature, sans se soucier des conséquences, par le moyen d’une technique qu’il ne contrôle pas. Notre technologie à la croissance exponentielle nous dépasse. Les pires scenariine sont donc pas à exclure.

Hans Jonas nous apprend qu’il est temps que l’humanité se dote d’une nouvelle éthique. Notre développement technique et technologique doit aller de pair avec la prise de conscience d’une responsabilité morale nouvelle à l’égard de notre planète et des générations futures. Aussi, Hans Jonas énonce notre devoir moral : nous devons toujours agir en sorte que les effets de notre action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur Terre.

Tel est l’enseignement de Wall-E. Au milieu de cette humanité déchue qui nous est présentée, seul le robot paraît véritablement vivant. C’est bien le paradoxe : c’est la machine qui rappelle l’humain à son humanité. Et cela même si, au départ, c’est l’avancée technologique qui cause la déchéance de l’humanité. Le film propose une thèse tout en subtilité : la technologie n’y est pas définitivement condamnée mais présentée dans son ambivalence. Dotée d’une éthique, elle pourrait être cet outil précieux qu’elle est par vocation. Avec Wall-E, inquiétante fable philosophique sur l’avenir de notre planète et de notre humanité, Disney-Pixar applique une prescription du philosophe Hans Jonas. Celui-ci nous apprend que, pour assumer le principe moral de responsabilité, nous devons nous faire peur. Voir Wall-E est donc bien plus que du divertissement. Il nous éveille à la responsabilité.

“La liberté n’est-elle qu’une illusion ?” : optez pour “Zootopie” (et Sartre)

Un lapin officier de police ? Zootopie est une ville dans laquelle chacun peut devenir ce qu’il veut. Chacun y possède, en effet, une multitude de possibles qui s’offrent à lui. Nul n’y est plus assigné à sa prétendue identité biologique. Un lapin, donc, n’a plus vocation à être cultivateur de carottes mais peut choisir, par exemple, de contribuer à rendre le monde plus sûr en devenant officier de police. Tel est le rêve de la jeune Judy, lapine qui grandit à Carotte-Ville. Mais elle refuse d’être rangée dans une case et ce qui vaut pour elle vaut pour les autres. Aucune nature biologique n’est une identité, pense Judy. Seul compte ce que nous choisissons d’être. Nos seules limites sont celles de notre courage et de notre volonté.

Judy a-t-elle raison de penser que nous sommes entièrement libres de choisir, indépendamment de tout ce qui forme notre condition ? Ou bien faut-il se ranger à la sagesse (plus fataliste) de ses parents, convaincus que la nature biologique, par exemple, impose des limites à notre liberté qu’il serait insensé de prétendre transgresser ? Sommes-nous ce que nous choisissons d’être ou bien ce que nous dicte notre identité biologique ?

Le film dans sa totalité semble un hommage à la pensée du philosophe français Jean-Paul Sartre, développée notamment dans L’existentialisme est un humanisme. Même si ce dernier réserve sa philosophie à l’humain qu’il oppose aux choses, nous pouvons ici l’étendre aux animaux humanisés de Disney. Pour le philosophe, chacun de nous a une condition à la fois biologique, sociale et psychique. C’est ce que Sartre appelle notre “situation”. Chacun de nous en a une. Judy est un lapin de Carotte-Ville, fille de producteurs de carottes et sœur de 274 lapins. Mais, pour Sartre, cette situation n’est jamais déterminante : il nous appartient de conférer un sens à cet ensemble de conditions. Il nous appartient de choisir d’en faire une limite ou une aide. Selon lui, une situation ne dessine pas une nature.

La nature, c’est le refuge des faibles, de ceux qui n’osent pas, par peur de l’échec ou qui, justement parce qu’ils ont échoué, imputent leur échec à leur situation comme si elle avait été déterminante. Les parents de Judy ont d’emblée renoncé à leurs rêves, préférant céder à l’excuse de leur nature : lapins de Carotte-Ville, ils devaient devenir agriculteurs, producteurs de carottes. Par là, ils se sont certes prémunis de l’échec, mais ils se sont contentés de vivre. Exister, c’est plus que cela. Exister, c’est le privilège de l’homme (ici de l’animal), qui seul est maître de définir qui il est.

“Peut-on se fier aux apparences ?” : rappelez-vous de “La Belle et la Bête” (et de Platon)

Qui, parmi nous, pourrait prétendre pouvoir aimer une bête ? Ne sommes-nous pas sensibles à la beauté du corps ? Derrière cette question de savoir quelle valeur accorder à l’apparence physique se cache aussi celle de savoir s’il faut se fier aux apparences elles-mêmes. L’apparence nous donne-t-elle accès à la réalité même des choses ou n’est-elle qu’une ombre déformante qui masque l’essentiel ? Derrière La Belle et la Bête se cachent des questions philosophiques. Revoir ce dessin animé de Disney peut ainsi nous permettre de mieux comprendre le philosophe Platon.

La jeune fille de l’inventeur, Belle, rejette les avances de Gaston, le beau garçon du village. A l’inverse, elle se découvre peu à peu émue par quelqu’un qui n’a rien d’un prince charmant. Ayant choisi de se livrer comme prisonnière de la Bête à la place de son père, elle apprend à connaître son âme, cachée sous sa monstrueuse apparence. Si la Bête lui apparaît d’abord comme un tortionnaire, elle finit par découvrir quelque chose dans son regard. Peu à peu, la Belle s’éprend de lui.

Dans Le Banquet, Platon présente deux personnages à l’apparence physique antinomique. Le premier, Alcibiade, est d’une beauté exceptionnelle. Le second se distingue par sa laideur monstrueuse : il s’agit de Socrate. Si ce dernier est physiquement laid, son âme, elle, est d’une beauté exquise. Socrate est en cela semblable aux silènes, des petites boîtes où sont dessinés des personnages grotesques pour faire rire ceux qui les regardent. A l’intérieur y sont conservées les drogues les plus précieuses, comme l’ambre gris.

Socrate, c’est la Bête. La Bête, c’est Socrate. Car le jeune prince, devenu Bête mais épris de la Belle, voit son âme s’embellir : il est en tous points semblable à Socrate – laid au-dehors, beau au-dedans. Alcibiade, lui, tient de Gaston la beauté et la séduction qu’il opère sur tous. Tout comme Gaston, Alcibiade est le chouchou du village (en l’occurrence d’Athènes).

En opposant Alcibiade et Socrate dans Le Banquet, Platon veut montrer que la véritable beauté est celle de l’âme. Socrate refuse le marché d’Alcibiade, qui lui propose de partager sa beauté physique tandis qu’il jouirait de la beauté de l’âme de Socrate. Car c’est comme lui demander d’échanger de l’or contre du cuivre. La beauté du corps d’Alcibiade est toute relative, et surtout elle est éphémère : c’est un métal non précieux. La beauté de l’âme de Socrate est bien plus précieuse : inaltérable, c’est de l’or. Pour Platon, il ne faut pas se fier aux apparences qui ne sont que l’ombre des choses. La Belle et la Bête nous vante, comme lui, la nécessité d’une dialectique depuis le sensible vers l’intelligible.

Partager :