Oui, les films à succès peuvent nous rendre intelligents
PHILOSOPHIE – Avouons-le: il y a un plaisir immense à découvrir le nouveau volet d’une saga qu’on adore. Harry Potter, Star wars, Le Seigneur des Anneaux, Divergente, Hunger Games, Jurassic Park… Une soirée dans une grande salle de cinéma, pop corn en main, avec un bon film qui, dans un rythme endiablé, nous fait oublier nos journées souvent épuisantes, quoi de plus agréable? Un bon blockbuster est la promesse d’un divertissement absolu.
Pour autant, ce plaisir est un plaisir coupable. On préférerait pouvoir dire qu’on a regardé avec passion le dernier film coréen en version originale, et en noir et blanc, diffusé à une heure trente du matin sur une chaîne franco-allemande. Oui, mais voilà: on a craqué et on est allé voir Bruce Willis et son sourire enjôleur alors qu’il sauve le monde de périls extrêmes! Pire: on a aimé…
Aimer les films hollywoodiens, les blockbusters des majors avec stars et effets spéciaux, les salles de multiplex avec pop corn et sodas, est-ce un crime de lèse-intellect? Entre le divertissement grand public et la réflexion, y a t-il nécessairement un hiatus infranchissable?
Notre pari, lors de la conférence “Blockbuster’s Philosophy” qui aura lieu ce mercredi à Marseille, dans le cadre de la Semaine de la pop philosophie, est de montrer que dans ce cinéma qui souffre d’un certain mépris, on peut trouver des illustrations parfois frappantes de concepts philosophiques…Vous ne pourrez pas être présents ? Voici quelques extraits !
Derrière la lutte éternelle entre Sith et Jedi, Star Wars épisode III répond à une question bien plus profonde et qui pourrait être un sujet de philosophie au bac. Formulée en langage Star Wars: “Pourquoi Anakin Skywalker devient-il Darth Vader ?”. Dit en langage philosophique: “Peut-on triompher de la mort ?”.
Rappelons-nous. Le jeune Anakin Skywalker est un apprenti jedi. Extrêmement doué, il a été reconnu comme celui qui est appelé à rétablir l’équilibre dans la Force. Seulement, Anakin est habité par la peur. Dans l’épisode précédent, Anakin a vu sa mère mourir dans ses bras. Malgré ses pouvoirs immenses, il n’a rien pu faire pour la sauver. Dans l’épisode III, Anakin voit en rêve la mort de sa femme Padmé.
Terrifié, il va se confier à Yoda qui l’invite à accepter la mort comme un événement naturel. Comme Epictète, il explique à Anakin que ce qu’il redoute le plus n’est pas véritablement un mal. Oui, ce qui ne dépend pas de nous doit nous devenir indifférent. A la vision humaine des choses nous devons substituer une vision selon la nature. Epictète nous invite ainsi à nous dire intérieurement, au moment même où nous embrassons notre enfant : “Demain, peut-être, tu seras mort.” Paroles de mauvais augure ? – Non, simples paroles qui présagent un phénomène naturel. Il demande : “Serait-ce un mauvais augure que de présager la moisson des épis ?” De même, notre corps, nos enfants, notre femme sont des prêts, des présents de l’existence qu’un jour il nous faudra rendre, habités par la seule gratitude que d’avoir pu les rencontrer et sans l’animosité de les avoir perdus.
Anakin reste sourd à cette philosophie de l’acceptation. Il veut triompher de la mort et préfère espérer dans le discours de Darth Sidious. Le côté obscur de la force, affirme ce dernier, permet d’acquérir le pouvoir de triompher de la mort. Anakin cède et devient Darth Vader.
Ironie du sort et leçon de philosophie : Padmé mourra bel et bien en accouchant – non de complication ou de maladie mais de chagrin. Elle a appris qu’Anakin est passé du côté obscur de la force. En voulant conjurer la mort, Anakin a perdu ce qu’il entendait pourtant préserver. Star Wars nous apprend donc que nier la mort, c’est nier la vie. Star Wars nous enseigne que la mort est une dimension intrinsèque de la vie dont il convient de ne pas vouloir triompher au prix de la perdre.
Sorti en 2001, La Communauté de l’Anneau est le premier volet de l’adaptation au cinéma de la trilogie de Tolkien Le Seigneur des Anneaux.
Rappelez-vous. Frodon Sacquet, hobbit de La Comté, se trouve chargé de porter l’anneau de puissance jusque dans les laves du Mordor pour l’y détruire. Parviendra t-il là où tant d’autres avant lui ont échoué? Saura t-il résister au pouvoir de l’anneau ou bien se laissera t-il corrompre?
C’est un véritable objet philosophique que cet anneau de pouvoir! Et l’invention en revient non à Tolkien mais à Platon et à Hérodote. Dans la République, Platon nous propose en effet un mythe devenu célèbre: le mythe de Gygès. Le berger Gygès trouve un jour, après un violent orage, un anneau. Il le passe à sa main et s’en va rejoindre d’autres bergers. Tandis qu’il joue avec l’anneau, le faisant tourner autour de son doigt, il s’aperçoit que ses amis parlent de lui comme s’il n’était plus là s’étonnant de sa soudaine disparition! Il tourne alors de nouveau l’anneau et ses amis s’interrogent désormais de sa réapparition soudaine. Gygès comprend le pouvoir de l’anneau: il rend invisible!
Que feriez-vous si vous aviez l’anneau de Gygès? Quel désir assouviriez-vous? Gygès, lui, grâce à l’anneau, va d’abord aller observer la reine se dévêtir dans sa chambre ! Puis, il assassine le roi et prend sa place.
A travers ce mythe, Platon entend poser la question du véritable motif de nos actions qui passent extérieurement pour morales. Faisons-nous le bien par pure vertu ou bien par peur d’être punis si nous faisons le mal ? En levant l’imputabilité de l’action, l’anneau de pouvoir est l’artifice symbolique qui débusque le véritable motif de nos actions.
Ceux qui parmi vous cèderaient au pouvoir de l’anneau ne sont moraux qu’en apparence et feraient le choix du mal s’ils avaient le pouvoir de le commettre en toute impunité. Ceux qui parmi vous résisteraient à l’anneau sont des vrais purs, seuls ils pourraient entrer dans la communauté de l’anneau. Existent-ils?
Dans le monde de Divergente, série de blockbusters adaptés de la saga littéraire de Veronica Roth, la société est découpée en cinq groupes appelés des factions : les érudits, les audacieux, les altruistes, les sincères et les fraternels. Ce que l’on est, notre nature profonde, nous oriente, lors d’un test passé à l’âge de seize ans, vers l’une d’entre elles.
Lorsque Tris Prior passe le test, ce dernier ne se révèle pas concluant. Elle est à la fois une érudite, une audacieuse, une altruiste, une sincère, une fraternelle. Appartenant à toutes les catégories, elle n’est réellement à sa place en aucune. Bref : elle est divergente. Cette non-adéquation est donc d’abord présentée comme un défaut. Tris n’est pas érudite, elle n’est pas audacieuse, elle n’est pas altruiste, elle n’est pas sincère comme elle n’est pas fraternelle. Tris n’est pas.
En revanche, elle peut être ce qu’elle choisira d’être. En somme, ce que découvre Tris Prior, c’est l’infinie liberté qui est la sienne de se choisir elle-même. Aucune nature n’enferme son destin dans un devoir-être qui serait déjà déterminé à l’avance. Tris Prior est l’incarnation de la liberté sartrienne.
Sartre est, en effet, le penseur de la liberté qui nous apprend que pour l’homme l’existence précède l’essence, c’est-à-dire que l’humain existe d’abord et qu’il se définit ensuite. On ne peut dire de personne qu’il est ou qu’il n’est pas ceci ou cela (fraternel ou audacieux par exemple). Nous ne sommes rien. L’utilisation même du verbe être à notre endroit est un contre-sens. Nous existons. Et nos actes nous font advenir tantôt fraternel, tantôt audacieux, sans jamais nous enfermer irrémédiablement dans une essence.
Divergent pourrait même devenir le concept propre à désigner la réalité humaine dans sa différence avec les autres réalités de la nature. Les choses sont ce qu’elles sont. Tris, emblème de la réalité humaine, diverge.