La série, produite par HBO, cartonne depuis son lancement en 2011. Dimanche débute la sixième saison aux États-Unis et sur OCS en France. Avec sa complexité et ses intrigues, elle ravit les fans de fantasy et bien au-delà. Et inspire les observateurs de la société qui la théorisent.
Game of Thrones est devenue la série de tous les superlatifs : la plus téléchargée illégalement (32 millions de fois pour le premier épisode de la saison 5), la plus « trash » en termes de sexe et de violence, la plus tortionnaire, aussi, pour les fans avec la mort, au fil des épisodes, de grandes figures. Dimanche, la saison 6 démarre aux États-Unis sur HBO – qui l’a produite – et sur OCS. La série, et son générique devenu culte, n’est pas simplement un objet télévisuel, tant elle est sortie du simple cadre initial : Game of Thrones donne matière à réflexion aux penseurs de la société.
Marianne Chaillan, enseignante en philosophie et membre du département de philosophie d’Aix-Marseille université, dédie un livre (1) à ce « laboratoire de philosophie morale et politique appliquée ». « Le suspense absolu quant au devenir des personnages ne produirait pas cet effet quasi hypnotique s’il n’était pas nourri d’une réelle qualité réflexive », observe-t-elle. Car le téléspectateur est sans cesse « soumis à la mise à l’épreuve de ses principes moraux (face à des relations sexuelles au sein d’une fratrie par exemple – NDLR) ». Processus qui rend notamment attachants les Lannister, détestables au premier abord… « La série nous questionne : comment agirions-nous à la leur place ? Que serions-nous prêts à faire, et quelles vertus sont nécessaires, pour conquérir le pouvoir ? » souligne-t-elle. Ce sont ces personnages, et leur psychologie très travaillée, qui font la force du récit. Les dilemmes déchirants auxquels ils doivent faire face construisent les rebondissements : à l’annonce de l’emprisonnement de son père Ned Stark, Jon Snow doit-il lui porter secours ou rester fidèle à ses vœux auprès de la Garde de nuit ?
« Les plus réactionnaires sont les plus pervers. Observez Joffrey ! »
Des personnages tout droit sortis de la tête de George R. R. Martin et de sa saga le Trône de fer, sorte de Rois maudits à la sauce fantasy. L’Américain de 67 ans, nourri par les romans de Tolkien, a imaginé, à partir de 1996, tout un monde cartographié qui a derrière lui des siècles d’histoire. Les derniers tomes se font attendre, au grand dam de ses lecteurs. Alors, c’est inédit, la série dépasse aujourd’hui la saga littéraire sur laquelle elle se basait. L’enjeu : répondre à l’appétit des millions de fans (7 millions aux États-Unis pour la saison 5). Depuis des mois, la production lâche aux aficionados des petites miettes d’indices sur la suite, au coût exorbitant : 10 millions de dollars par épisode, soit 100 millions en tout. « La série dévoile, pour ceux qui en douteraient, que les spectateurs aiment qu’on ne les prenne pas pour des idiots, qu’ils portent même un désir de s’interroger sur des questions morales, politiques ou métaphysiques », explique Marianne Chaillan. Elle donne un exemple significatif : « L’homme est-il un jouet de la Fortune – comme la jeune Cersei qui apprend par une sorcière ce que sera son destin – ou bien est-il maître de sa vie, libre de se choisir lui-même, comme en témoignent Arya Stark et Brienne notamment ? » Tout au long de son livre, l’enseignante superpose les thèses philosophiques aux illustrations télévisuelles. Les crimes, tels que celui du roi fou par Jaime Lannister ou encore celui imaginé par Robert Baratheon à l’encontre de Daenerys et l’enfant qu’elle porte sont-ils justifiés ? « Non, répond Kant pour qui la maxime du meurtrier ne saurait sous aucun prétexte être universalisée. Oui, répond Bentham, qui conçoit que la mort est un dommage collatéral justifiable pour permettre le bonheur du plus grand nombre de personnes », démontre-t-elle.
Pour elle, le succès de la série devrait « donner du courage aux hommes politiques en ce qui concerne la reconnaissance d’un certain nombre de droits ». Car, sans dogmatisme, Game of Thrones prône un certain « progressisme ». « Par la distribution des personnages, on voit bien où va la sympathie des scénaristes. Les plus réactionnaires sont les plus pervers. Observez Joffrey ! » s’amuse-t-elle. Si l’histoire se déroule à une époque médiévale, les similitudes ne manquent pas avec notre temps. C’est probablement ce qui a convaincu, fin 2015, Pablo Iglesias, leader de Podemos en Espagne et adepte de la série, d’analyser les leçons politiques de cette saga populaire (2). L’enseignant en science politique dit voir en elle « la meilleure pour expliquer » sa matière, et pour évoquer « Max Weber, Carl Schmitt, Machiavel ou encore Lénine et Antonio Gramsci ». Depuis que la mort du roi Stannis Baratheon a déstabilisé le royaume, les maisons du régime féodal se déchirent, bousculant les cadres politiques. Alors même que de plus grandes forces les menacent, au nord notamment, avec cette prophétie leitmotiv « Winter is coming » (l’hiver vient). La question est de savoir qui, par la force ou le ralliement des peuples – comme le réalise déjà Daenerys, mère des dragons –, va s’asseoir sur le fameux trône de fer. Pour un final dans lequel se dessine une nouvelle ère, un renversement du rapport de forces pour remplacer cette élite politique qui s’alimente de la corruption et de la manipulation. Pour faire entrer une vague d’espoir dans l’« ordre social injuste » de Westeros, soumet Pablo Iglesias. Ça ne vous rappelle rien ?