GOT, une méditation philosophique de la mort

Pierre CLOIX

GAME OF THESES La saga HBO n’a pas inspiré que des fans par millions, elle a également suscité des études et thèses de chercheurs en sciences divers. Aujourd’hui Marianne Chaillan, professeure de philosophie, chroniqueuse et écrivain, nous parle de Game of Thrones.

Des zombies venus du froid, des dragons, des loups géants et des prêtresses rouges qui ressuscitent les gens… Game of Thrones, c’est du sérieux. Alors forcément, la saga a intéressé des scientifiques de tout poil dès ses débuts. Sociologues, politologues, historiens ou démographes ont réalisé thèses et études sur la série HBO au succès planétaire.

20 Minutes a choisi de leur donner la parole durant la diffusion de la huitième et dernière saison de la saga, pour jeter un nouveau regard sur une série qui restera dans les annales.

Aujourd’hui, nous interrogeons Marianne Chaillan, professeure de philosophie, chroniqueuse et écrivain à qui l’on doit notamment le livre Game of Thrones, une métaphysique des meurtres, paru en 2016. Habituée à décrypter la pop culture sous le prisme de la philosophie, nous avons abordé avec elle les divers courants de pensée que l’on peut retrouver dans la série, et essayé de tirer du sens de toutes ces batailles, ces trahisons et ces histoires d’amour. Et on en apprend plus encore qu’avec les mestres de la Citadelle.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire votre livre de 2016 ?

Ce sont mes étudiants qui m’avaient fait découvrir la série alors que je donnais un cours d’éthique appliquée. Dès les premiers épisodes de la saga, tout est présent : la dimension morale de la série, sa dimension politique et même sa dimension métaphysique. J’ai donc découvert la série grâce aux étudiants et j’ai été convertie.

Mon essai est ainsi avant tout un livre de véritable fan. Je découvre en ce moment chaque épisode de la saison 8 avec un plaisir que je n’ai jamais ressenti pour aucune série. L’épisode 3 La longue nuit m’a plongée dans un état émotionnel extraordinaire ! Quelle série, vraiment ! Dans mon livre, j’ai donc avant tout cherché à montrer à tous qu’elle n’est pas un simple divertissement mais qu’elle est d’une profondeur redoutable.

Pour travailler sur une série comme celle-ci, quelle a été votre mode de fonctionnement ?

J’ai tâché de proposer à mes lecteurs de jouer pour découvrir la substantifique et philosophique moelle de Game of Thrones. Ayant apprécié dans mon enfance la collection des « livres dont vous êtes le héros », je suis partie d’une expérience de pensée dans laquelle les lecteurs doivent se questionner eux-mêmes. Et en fonction de leurs réponses, ils découvrent qu’ils appartiennent à telle ou telle Maison de la grande histoire de la philosophie. Dans cette Maison, vous rencontrerez certes les grands maesters qui la composent mais aussi les personnages de Game of Thronesqui ont fait le même choix que vous.

J’ai souhaité que mes lecteurs puissent apprendre en s’amusant. Sont-ils des bannerets de Kant ou de Machiavel ? Sont-ils plus proches de Tyrion ou de Daenerys ? Quels sont leurs principes philosophiques implicites ?

Si on aime tant Game of Thrones, n’est-ce pas parce que les vices de l’humain (et parfois ses vertus) y sont exacerbés et qu’on prend, quelque part, plaisir à assister à ces extrêmes ?

GoT a sans aucun doute des vertus cathartiques, c’est-à-dire qu’elle montre à l’écran des actions, issues de passions humaines, qui peuvent susciter en nous, spectateurs, de la terreur et de la pitié. Or tels sont les ressorts, selon Aristote, de la purgation des passions grâce à l’art. Lorsque le spectateur contemple avec terreur et pitié des actes répondant à des désirs qu’il peut lui-même nourrir en son sein, il s’en trouve comme délivré. Game of Thrones nous parle ainsi de nos propres affects.

Du fait de la variété et du grand nombre de personnages proposés, y a-t-il selon vous un phénomène d’identification qui expliquerait le succès de la série ?

Il est vrai que cette série brille par le nombre de personnages de qualité qu’elle propose. Et il est vrai aussi que ces personnages diffèrent entre eux au regard de leurs principes philosophiques, ce qui permet à chaque spectateur d’y trouver son compte, pour ainsi dire. Mais je trouve cela génial : nous spectateurs reproduisons derrière notre écran les allégeances que les personnages se prêtent entre eux dans l’écran. Et cela conduit, entre spectateurs, à des joutes (verbales, heureusement) pour affirmer la légitimité du personnage que l’on a choisi pour être, sinon le vainqueur, du moins le véritable héros. Certains spectateurs soutiennent Daenerys, d’autres Cersei, d’autres Tyrion, d’autres encore Arya ou Sansa. Nos disputes sont des affirmations philosophiques qui s’ignorent : en soutenant l’un plutôt que l’autre, nous affirmons la primauté pour nous de la vertu, de l’intelligence stratégique, etc.

Si l’on devait identifier les courants philosophiques majoritaires dans le récit, quels seraient-ils ?

Il y a pour moi trois dimensions réflexives de la saga. Game of Thrones pose incontestablement d’abord des questions de philosophie politique en se demandant quelles sont les vertus d’un souverain. Mais elle pose tout autant des questions de philosophie morale (qu’est-ce que le devoir ?) qu’elle applique à des thèmes très concrets (l’euthanasie, l’homosexualité, la prostitution, l’inceste, etc.). Enfin, GoT pose également des questions métaphysiques (l’âme existe-t-elle ? Les hommes sont-ils libres ou mus par une fatalité à l’œuvre dans l’histoire ?).

Quel est le propos philosophique derrière les marcheurs blancs et le mantra « winter is coming » ?

Pour moi, il y a dans ce mantra une dimension tragique. L’hiver vient, et il viendra quoique nous fassions. L’hiver, on le sent bien, n’est pas seulement réductible à une saison climatique. L’hiver qui vient, c’est, me semble-t-il, une métaphore. Dire que « l’hiver arrive », c’est une promesse de désunion, c’est l’annonce de la perte, c’est la certitude du deuil. Cette phrase me paraît nous inviter à une méditation sur la mort et le caractère éphémère de l’existence. Elle fait écho ainsi au « Valar Morghulis » qui traverse la saga et semble s’inscrire dans la tradition qui fait du philosophe l’homme qui accepte la mort et de la philosophie justement le moyen de l’exercice de cette maîtrise. Montaigne dans les Essais, soutient « Que philosopher, c’est apprendre à mourir » et que « le but de notre carrière c’est la mort ». Regarder «Game of Thrones, n’est-ce pas ainsi effectuer cette méditation philosophique de la mort tant nous sommes confrontés à la perte de nos personnages les plus chers ?

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