Chronique du 5 Juin 2020, dans l’émission Grand Bien Vous Fasse
Dimanche, c’est la fête des mères.
Certains pourraient être tentés d’y voir uniquement un rituel enfantin et commercial faisant les affaires des fleuristes et des parfumeurs.
Ils en oublieraient presque la formidable occasion qui leur est offerte,
et qu’ils regretteront un jour.
À tous ceux-là, je conseille de lire le déchirant ouvrage d’Albert Cohen, Le livre de ma mère, qui nous offre le plus beau des chants d’amour jamais écrit.
Il y dépeint un amour qui met au tapis les Roméo et Juliette, les Tristan et Yseult qui occupent indûment tant de pages de la littérature.
Car l’amour à nul autre pareil, c’est l’amour maternel.
Bien sûr, toutes les mères ne sont pas semblables à celle d’Albert Cohen.
Certaines sont déficientes, d’autres maltraitantes, d’autres encore sont parties trop tôt.
Mais ces absentes dessinent, en creux et par défaut, le portrait sublime de ce que peut être une mère.
Albert Cohen eut une mère merveilleuse.
Certains d’entre nous ont pareille chance.
Et il nous appartient dès lors, filles et fils de ces Sublimes, de les honorer, tant que nous le pouvons encore.
Première leçon de son livre : « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. » Albert Cohen considérait comme tout naturel d’avoir une mère vivante.
Il ignorait combien ses allées et venues dans son appartement étaient précieuses et éphémères.
Désormais orphelin, il déplore de ne plus pouvoir aller dans les nuits frapper à la porte de sa mère pour qu’elle tienne compagnie à ses insomnies – ce qu’elle faisait toujours et sans se plaindre jamais. Il nous prévient : seule les mères ont cette patience. En cas d’insomnie, ne frappons à aucune autre porte, femme ou ami ! Nous serions bien reçus.
Désormais orphelin, il se rappelle aussi qu’elle l’attendait toujours à la fenêtre.
Il levait la tête et c’était doux de voir d’en bas son visage. Il continue chaque fois qu’il rentre chez lui de lever les yeux vers la fenêtre.
Mais il n’y a plus jamais personne.
Avec sa mère uniquement, il n’était pas seul.
Sans elle, maintenant, il est seul avec tous.
Il a bien une fille. Cependant il constate :
« Ma fille m’aime, mais elle a sa vie et elle me laisse seul. »
Et puis, même avec les plus aimés,
il lui faut un peu paraître, dissimuler un peu.
Avec sa mère, il n’avait qu’à être ce qu’il était, avec ses angoisses, ses pauvres faiblesses. Et elle ne l’aimait pas moins.
C’est pourquoi c’est bien notre mère que nous appellerons lorsque nous aurons mal dans le corps ou dans l’âme.
C’est son nom sacré seul, Maman, que nous invoquerons, non pas celui de vivants aimés, ni celui de Dieu.
Orphelin désormais, « le milliardaire de l’amour reçu est devenu clochard ».
Le livre de ma mère nous adresse une mise en garde salutaire qui doit nous précipiter dimanche et tous les jours de l’année encore, vers ces Irremplaçables:
« Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles.
Je n’aurai pas écrit en vain, si l’un de vous (…) est plus doux avec sa mère (…)
Pendant qu’il est temps (…) pendant qu’elle est encore là.
Hâtez-vous. »