Avant-hier, j’étais assise sur le sable d’une plage déserte, face à la mer, en Espagne. Au loin, les montagnes enneigées se découpaient sur le ciel bleu. C’est là que j’ai appris que Où donc est le bonheur ? venait d’être sélectionné pour le Prix Essais France Télévision 2022.
Ceux qui m’ont fait l’honneur de le lire savent que cet essai ne ressemble à aucun de ceux que j’ai jusqu’à présent publiés. Ils savent donc l’émotion toute particulière que peut susciter en moi pareille distinction.
L’histoire de la naissance de ce livre commence il y a longtemps, dans mon enfance, avec le questionnaire de Proust auquel m’avait soumis ma grand-mère et dans lequel l’auteur de La Recherche nous interroge sur notre définition du bonheur terrestre.
Elle se poursuit avec ce coup de tonnerre à seize ans quand je découvre sur les bancs du Lycée Thiers, grâce à mon extraordinaire professeur de français, L’exil et le Royaume d’Albert Camus. Et cette question que l’ouvrage me plante en plein cœur : « Comment ne pas devenir cette femme qui, du haut d’un fort face au désert infini, réalise qu’elle n’a jamais eu le courage d’exister pleinement ? »
Elle continue encore avec l’émotion esthétique ressentie face aux couvertures que justement Gallimard réservait, à l’époque, aux œuvres de Camus : de magnifiques tableaux de Nicolas De Staël.
Elle se nourrit aussi de l’amour de la philosophie et du bonheur de l’enseigner : de la lecture douloureuse de Schopenhauer à celle joyeuse de Montaigne, du Cercle des poètes disparus aux poèmes de Whitman, de la main tendue de mes enseignants à celle que j’ai pu essayer d’offrir, devenue professeur à mon tour.
Il serait trop long de dire tous les petits ruisseaux et chacune des grandes vagues qui ont contribué à faire naître ce texte. Mais le plus beau est peut-être encore l’histoire de ce livre depuis sa parution.
À la veille de sa publication, j’avais peur. Comme si c’était mon premier livre. Comme si c’était une mise à nue. Comme si son exposition et le jugement qu’on tiendrait sur lui me blesserait directement au cœur.
Et voici que, depuis sa parution, je vais de joie en joie, de surprise en émerveillement ! Depuis la toute première émission réalisée pour le promouvoir jusqu’à aujourd’hui, Où donc est le bonheur ? me conduit sur des routes que je n’imaginais pas.
Sur ces chemins, j’ai fait des rencontres merveilleuses : celle de lecteurs qui m’ont dit ou écrit des choses très émouvantes mais celles, aussi, de journalistes qui ont su lire mon livre avec un regard très sensible dont je les remercie. J’ai pu ainsi mettre un beau visage sur la douce voix de Fabienne Sintes, échanger des regards complices avec Eva Roque, me laisser bercer et porter à distance, lors de duplex, par les voix de Simon Brunfaut, Carine Becard, Catherine Perrin et Olivia Gesbert.
La promotion du livre m’a même conduit sur un fort, face à la mer, alors que j’atteins sans doute l’âge de l’héroïne de Camus à laquelle je m’étais promis de ne jamais ressembler. Quelle poétique surprise ! Et la passionnante Frédérique Bréhaut de me demander : « Alors, avez-vous tenu parole ? Existez-vous vraiment ? ». À ce moment-là, plus que jamais, ma vie et cet essai débordent l’un sur l’autre. Et c’est très fort à vivre.
Sur ces chemins, j’ai aussi connu la joie des retrouvailles aussi après deux années douloureuses de pandémies : celle de l’enthousiaste Ali Baddou ou du fidèle Ali Rebeihi, celles, aussi, de lecteurs rencontrés lors de salons littéraires avant l’épidémie et que j’ai retrouvés avec un plaisir profond.
Et puis, sur cette route, il y a eu ce miracle : l’invitation à La Grande Librairie.
Tout lecteur, tout auteur, tout passionné de littérature sait ce que représente La Grande Librairie.
Déjà, il y a quelques années, j’avais eu le privilège d’y être invitée, par deux fois. Je m’étais assise aussi admirative que tremblante dans ce magnifique décor fait de livres. Ma fameuse grand-mère venait de mourir. Et je regrettais tellement qu’elle n’ait pas vécu suffisamment pour voir cet événement inattendu : j’étais passée de l’autre côté de l’écran, dans cette émission dont nous ne rations jamais une diffusion. Nous en aurions été ravies ensemble ! C’était triste et doux.
Y être invitée pour « Où donc est le bonheur ? » était bien différent encore. Parce que ce livre, justement, est si spécial à mes yeux.
Je craignais que ma voix ne tremble un peu. Mon émotion était immense.
La veille au soir, j’avais marché dans les rues de Paris avec mon ancienne élève, celle qui a eu le courage de « franchir ses murs » et dont l’histoire offre une fin à mon livre. Encore une fois, tissé du fil même de mes jours, cet essai et ma réalité s’entremêlaient.
Sur le plateau, François Busnel m’a généreusement fait remarquer mon livre était une véritable bibliothèque ! Je ne l’avais pas remarqué mais j’ai adoré cette formule. Oui, il y a, dans cet essai, des livres, des poèmes, des essais qui ont changé ma vie, de Flaubert à Camus en passant par Verlaine. Il y a aussi dans ce livre les musiques qui me touchent l’âme, de Barbara à Piaf, sans oublier, évidemment, Philip Glass.
Durant l’émission, en écoutant Jón Kalman Stefánsson parler de ces expériences qui traversent tout auteur avant de rejaillir sublimées dans ses oeuvres, j’ai cité la phrase de Nietzsche selon laquelle on écrit bien que ce que l’on écrit avec son sang. Je ne sais pas si mon livre est bien écrit mais je sais qu’il est fait de l’étoffe de ma vie. C’est un livre écrit avec le cœur.
C’est pourquoi je suis si profondément émue qu’il ait le privilège de rejoindre les si beaux essais retenus sur la liste du prix essais France télévision 2022. Quel honneur que d’être nommée parmi ces auteurs si talentueux !
Je remercie donc du fond du cœur, profondément, François Busnel et Olivia de Lamberterie d’avoir offert pareille reconnaissance à mon essai. Peu importe l’issue, je suis déjà comblée.