Bac 2019 : trois notions de philosophie expliquées avec Harry Potter

Par Alice Raybaud

 

Marianne Chaillan, professeure de philosophie et autrice de Harry Potter à l’école de la philosophie (Ellipses), a traqué les questions philosophiques nichées dans les romans de J. K. Rowling. Détraqueurs, miroir du Riséd ou fantômes… Dans les aventures du jeune sorcier à la cicatrice, on trouve matière à de nombreux sujets de dissertation.

De quoi enrichir des copies de philosophie au bac, et illustrer une idée ? Ces références sont à utiliser avec précaution. « Les éléments tirés de la culture populaire peuvent servir d’exemple, mais ne doivent jamais se substituer aux thèses philosophiques, rappelle l’enseignante. J’invite plutôt mes élèves à s’en servir surtout comme outils de compréhension de certaines thèses, et comme moyen pour en fixer le souvenir. Comprendre Sartre grâce à Harry Potter, c’est déjà un grand bénéfice. » A vos baguettes !

Tom Jedusor, le bonheur et la vertu

Faut-il être vertueux pour être heureux ? La question fait appel à une théorie platonicienne, que lit Marianne Chaillan entre les lignes de la saga à succès. Dans le Gorgias de Platon, Socrate évoque le cas du roi Archélaos. Archélaos a réussi à devenir roi à force de crimes. Ne montre-t-il pas que l’homme peut, par l’injustice ou malgré elle, devenir heureux ?, s’interroge son interlocuteur. Socrate répond au contraire que seul l’homme vertueux est véritablement heureux. Le bonheur est la récompense immédiate de la vertu. Celui qui est injuste ne peut être que malheureux. Pour Socrate, est même plus malheureux encore celui qui a été injuste sans se faire prendre, et donc sans se faire punir. Il estime ainsi que non seulement qu’Archélaos est un homme malheureux, mais qu’il est aussi le plus malheureux des hommes. Pour Socrate, l’homme injuste est condamné, dans son âme et dans sa vie.

La transformation physique de Tom Jedusor – devenant Voldemort, meurtrier des parents d’Harry – est la traduction littéraire du Gorgias. Le jeune et beau garçon, assoiffé de pouvoir, tuera pour scinder son âme en plusieurs morceaux – qu’il cache ensuite dans des objets, les horcruxes – et s’assurer ainsi une immortalité. J. K. Rowling rend physiquement visible l’altération de son âme sous l’effet de l’injustice qu’il a commise. Plus Tom Jedusor devient immoral et injuste, plus son corps change, alors qu’il était beau, pour devenir effrayant. L’apparence terrifiante de Voldemort est le reflet de son âme souillée. « Tuer déchire l’âme » : ces mots de J. K. Rowling ne sont-ils pas la traduction même de la thèse platonicienne ?

Le désir : Harry Potter et ses parents disparus

À travers son invention du miroir du Riséd, J. K. Rowling nous donne à comprendre l’idée stoïcienne selon laquelle il faut modifier nos désirs pour être heureux. Dumbledore l’explique à Harry : ce miroir nous montre le désir le plus profond que nous abritons. Aussi, pour l’homme le plus heureux du monde, pour celui auquel rien ne manque, le miroir ne serait qu’un ordinaire miroir, ne lui renvoyant que son propre reflet. En revanche, pour Harry, qui a grandi sans connaître ses parents, le miroir montre son père et sa mère à ses côtés.

Dumbledore nous enseigne que « les humains ont un don pour désirer ce qui leur fait le plus de mal ». C’est pourquoi « des hommes ont dépéri ou sont devenus fous en contemplant ce qu’ils y voyaient ». C’est pourquoi le sage choisira de cacher le miroir. Il conclut : « Cela ne fait pas grand bien de s’installer dans les rêves en oubliant de vivre. » Albus Dumbledore est le digne représentant d’Epictète, pour qui une bonne part du malheur des hommes tient à ce qu’ils portent leur désir sur de mauvais objets, c’est-à-dire sur des objets dont il ne dépend pas d’eux de les posséder. Désirer ce qui ne dépend pas de moi fait de moi un insensé, un « malade », selon les stoïciens.

Aussi faut-il apprendre, comme nous invitera à le faire Descartes plus tard, à « changer nos désirs plutôt que de vouloir changer l’ordre du monde ». Il faut désirer uniquement ce qui dépend de nous. Porter son désir sur des choses qui ne dépendent pas de soi fait courir le risque d’expérimenter la souffrance, la déception, des passions tristes. Harry est donc bien « malade » au sens stoïcien du terme, puisqu’il désire que sa famille vive toujours : or, cela ne dépend point de lui.

La liberté et le Choixpeau magique

Sur la question de la liberté, J. K. Rowling soutient une thèse sartrienne, incarnée dans la scène inaugurale de la répartition des étudiants sorciers dans leur « maison » par le Choixpeau magique.

L’attribution d’une maison plutôt que d’une autre semblerait, d’une part, relever d’une pure détermination étrangère (c’est le chapeau qui décide et non pas celui qui le porte), et d’autre part reposer sur des qualités dont nous disposerions intrinsèquement sans les avoir choisies. Nous posséderions, dès lors, une nature que nous n’aurions pas choisie mais qui nous définirait et selon laquelle nous serions orientés vers telle ou telle maison.

En réalité, le vieux chapeau tient compte des préférences des jeunes sorciers. Harry Potter demande de toutes ses forces à ne pas être envoyé chez les Serpentard, maison qui a accueilli toute une lignée de mages puissants mais dangereux – dont Voldemort, le meurtrier de ses parents. Et cela fonctionne : le Choixpeau annonce qu’il intégrera les Gryffondor. Ainsi, ce seraient nos choix qui nous définiraient, et non nos dispositions ni les événements extérieurs. C’est ce que veut dire Sartre quand il écrit que, pour l’homme, « l’existence précède l’essence ». A la différence de l’objet, qui a dû être conçu avant d’être créé et pour lequel, donc, l’essence précède l’existence, l’homme existe d’abord et se définit ensuite, tout au long de sa vie, comme il se choisira à travers ses actions.

Cette question du libre arbitre s’inscrit dans la peur qui habite Harry lorsqu’il découvre les nombreux points communs existant entre lui et Tom Jedusor. Au fond, sa crainte est d’être pris dans un « devenir-Voldemort ». Harry possède-t-il une nature commune avec Voldemort, certains attributs essentiels qui le conduiraient à devenir un genre de personne plutôt qu’un autre ? Son parrain, Sirius Black, se fera le porte-parole de Sartre en lui répondant que nous sommes libres de nous choisir, quel que soit notre passé, quelle que soit notre prétendue hérédité. Rien ne nous définit (pas même des épreuves cruelles), sinon nos choix et les actes qui les incarnent. Qui, à ce titre, pouvait mieux que Sirius tenir à Harry ce discours de liberté malgré les déterminismes du passé ? Alors que les parents et les membres de la famille de Sirius étaient de fervents partisans du Seigneur des Ténèbres, il a choisi, lui, l’Ordre du Phénix.

Archélaos est un homme malheureux, mais qu’il est aussi le plus malheureux des hommes. Pour Socrate, l’homme injuste est condamné, dans son âme et dans sa vie.

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