Vous aussi, vous êtes addict à la série au succès planétaire Game of Thrones? Vous aussi, attendez impatiemment l’arrivée de la cinquième saison et vous demandez avec fébrilité ce qui va arriver à vos personnages préférés? Pourtant, dans le même temps, vous redoutez les spoilers qui inondent le web et vous vous bouchez les oreilles dès que quelqu’un dans votre entourage raconte ce qu’il a appris dans les livres de G. R. R. Martin déjà publiés et pas encore adaptés à l’écran?
Et si la lecture des grands philosophes nous permettait de formuler des hypothèses sur celui qui, parmi les impétrants au Trône de Fer, parviendra à devenir le Roi (ou la Reine) des Sept couronnes?
Que penseraient nos grands auteurs s’ils regardaient, comme nous, la série de HBO? Quel jugement Kant, Hobbes ou Machiavel, par exemple, porteraient-ils sur Jaime Lannister, Khaleesi ou Arya Stark?
Entre fans de la saga, nous débattons du devenir de ces personnages. Certains parmi nous croient aux chances de la dernière des Targaryen, d’autres soutiennent Jon Snow, d’autres encore choisissent le camp des Lannister. A quoi ressemblerait pareil débat conduit par les plus grands spécialistes de philosophie morale et politique? Qui aurait, selon eux, une chance de monter sur le Trône forgé par Aegon le Conquérant? Qui n’en aurait pas?
Pour imaginer une telle discussion, rendez-vous est fixé lors de la Semaine de la Pop philosophie, qui a entamé, quant à elle, sa sixième saison, à Marseille, le lundi 20 octobre.
Soyez rassurés, il n’y aura pas de spoiler lors de cette conférence. Il s’agira simplement d’éprouver le double plaisir de parler de notre série préférée et de faire, avec elle, un peu de philosophie. Car n’en déplaise à certains, on fait aussi de la philosophie en suivant Game of Thrones, comme on en avait fait il y a deux ans avec Harry Potter ou l’an dernier avec la Playlist des philosophes.
Soyez rassurés aussi: si vous n’êtes pas à Marseille ce soir-là, ou si vous ne parvenez pas à entrer (il paraît que la conférence affiche déjà complet et que la liste d’attente s’allonge chaque jour un peu plus!), en voici les grandes lignes…
Imaginons donc un bel écran plat sur lequel se déroulerait le générique de notre série et devant cet écran, pop corn à la main, Kant, Bentham, Machiavel et Hobbes.
Kant soutiendrait Ned Stark… contre Jeremy Bentham
Commençons par Kant. L’auteur des Fondements de la métaphysique des mœurs aimerait beaucoup le personnage de Ned Stark, cet homme du devoir qui fonde la validité morale d’une action au regard de l’intention qui l’anime et non sur ses conséquences – qu’elles soient favorables ou défavorables.
Faut-il tuer Daenerys Targaryen et son enfant à naître, quitte à causer la mort de deux personnes innocentes aujourd’hui plutôt que de laisser, demain, une guerre éclater? Certains le soutiennent comme Pycelle et Robert Baratheon. Ned, lui, considère que c’est une action immorale et préfère donner sa démission. Kant acquiescerait, n’en doutons pas.
C’est alors que Bentham couperait la parole à Kant, faisant valoir que le Roi Robert a non seulement raison d’un point de vue stratégique mais plus encore d’un point de vue moral.
Tuer Daenerys constitue, affirmerait-il, la solution la plus sage. On causerait certes le malheur de quelques dothrakis mais on assurerait aussi le bonheur de centaines de milliers de personnes qui, à King’s Landing, ne connaîtraient ni la guerre ni la misère ni la mort!
Ils se disputeraient à propos des prostitués de King’s Landing
Kant n’aurait pas le temps de répondre à Bentham qu’un autre problème moral jaillirait de la série! Est-il moralement acceptable de vendre son corps? Shae et Ros, les prostituées les plus célèbres de la série, n’ont-elles pas une conduite immorale, tout comme ceux qui font appel à leurs services?
Kant considérerait en effet que Tyrion est un débauché qui ne respecte ni la dignité des prostituées ni la sienne. On peut alors imaginer Ruwen Ogienpassant devant la télé et demandant à Kant si ce concept de dignité n’est pas, au fond, inutile et dangereux…
Kant ne l’entendrait sûrement pas. Il jugerait, en outre, extrêmement choquantes les nombreuses scènes où les personnages semblent considérer qu’il est préférable de tuer quelqu’un qui souffre plutôt que de le laisser mourir. Pensons à Khaleesi qui, par exemple, étouffe Khal Drogo, son mari, plongé dans un état neurovégétatif après une opération – de sorcellerie.
La question de l’euthanasie traverse ainsi la saga. Kant se rangerait cette fois aux côtés de Tyrion qui considère que la mort est définitive là où la vie est pleine de possibilités.
La série étant riche de nombreux problèmes d’éthique, Kant et Bentham continueraient à se disputer, tandis que Hobbes prendrait la parole pour proposer son regard de spécialiste de philosophie politique.
Hobbes pourrait être le conseiller de Joffrey
Il jubilerait d’abord en voyant la série donner raison au constat qu’il porte dans son Léviathan sur la nature humaine. Lorsque Peter Baelish recommande à Ned Stark de se méfier de tout le monde ou lorsque Le Limier dit à Sansa que le monde entier est constitué d’assassins et que l’on n’est en sécurité nulle part, Hobbes applaudirait des deux mains.
Il y verrait assurément la confirmation de sa thèse selon laquelle “l’homme est un loup pour l’homme” et que, sans un état politique fort, on est condamné à la “guerre de tous contre tous”. C’est pourquoi Hobbes sifflerait chaque apparition du Régicide Jaime (comment oser tuer le Roi?) et prendrait la défense de Joffrey, ce nouveau Roi Fou, qui gouverne avec force et cruauté. Oui, seule la souveraineté absolue nous préserve des dérives liées à la nature humaine.
Mais Machiavel lui aurait déconseillé d’être haï par le peuple
C’est alors que Machiavel ferait entendre sa désapprobation. Sans doute ne faut-il pas qu’un souverain cherche à se faire aimer par son peuple (en ce sens Khaleesi n’est pas promise à un grand avenir si l’on en croit l’auteur du Prince) et sans doute vaut-il mieux se faire craindre. Mais il faut se garder aussi d’être haï, ajouterait-il, car alors le peuple se soulèvera.
L’agression de Joffrey, dans les rues de King’s Landing, lui donnera raison. Le même Machiavel se désolerait, par ailleurs, de voir la famille Tyrell afficher une telle générosité lui qui pense qu’un souverain ne doit point redouter la réputation d’avarice s’il veut perdurer. Dans la course au Trône de Fer, exit donc, selon lui, les Tyrell…
Enfin, soutenant que seul durera le souverain qui fait de sa parole peu de cas pour peu qu’il sache dissimuler son manque de fidélité derrière une belle excuse, Machiavel ne donnerait pas cher de Jaime Lannister qui se révèle fidèle à ses serments. L’auteur du Prince serait d’ailleurs bien le seul à aimer l’épisode sanglant des Noces pourpres. On l’imagine aisément riant devant l’écran en disant que Robb Stark aurait mieux fait de lire, jusqu’au bout, le chapitre 18 de son ouvrage…
Fin de l’épisode. Nos philosophes rentrent chez eux. Ils auraient beaucoup à nous dire encore sur Game of Thrones. Un livre sur la question est en préparation. A suivre…