Harry Potter, l’apprenti philosophe

  • Propos recueillis par Cécile Mury

Harry Potter sous l’influence de Sartre et Nietzsche ? Dans un essai brillant et ludique, Marianne Chaillan, professeur de philo, analyse le monde magique du sorcier à lunettes. Et décrypte pour “Télérama” cinq personnages de la saga.

L’univers de Harry Potter, créé par la romancière britannique J.K. Rowling, est partout. On le retrouve au cinéma, le 16 novembre, avec Les Animaux fantastiques, de David Yates, récit des aventures de Norbert Dragonneau, un nouveau personnage, dans le New York des années 1920. On le feuillette en librairie, avec la sortie du texte de la pièce de théâtre, Harry Potter et l’enfant maudit (éd. Gallimard). Pour l’occasion, Canal+ Cinéma diffuse ce lundi le premier film de la saga, Harry Potter à l’école des sorciers. Quant à nous, nous avons préféré fêter cette actualité avec… Harry Potter à l’école de la philosophie. Non, ce n’est pas une nouvelle aventure du sorcier à lunettes, mais un essai, décryptage ludique et brillant publié aux éditions Ellipses. Son auteur, la professeure de philosophie Marianne Chaillan, a accepté de faire pour nous le « portrait philosophique » de cinq personnages. Retour à Poudlard, dans la magie des idées.

 

« Avoir mal, c’est comme respirer. Harry incarne cet apprentissage. Loin de vouloir annuler la souffrance, il faut l’accepter comme l’envers d’une joie qui fait la saveur de l’existence. Harry apprend que vivre n’est pas un rêve, et que l’on ne peut pas se mouvoir dans une réalité conforme à nos désirs. De terribles épreuves — la perte de ses parents, le décès de son parrain Sirius, celle de son mentor Dumbledore — lui montrent que la souffrance et la mort sont intrinsèques à la condition humaine. Harry apprend à aimer la vie en dépit de ce qu’elle contient de douloureux — surtout lorsqu’on se prend réellement à vivre, c’est-à-dire lorsqu’on se risque à aimer. Il nous enseigne que la plus grande force est de pouvoir être blessé, non d’être invulnérable. Car ce qui nous rend vulnérable nous emplit d’une force qui nous permet de surmonter les épreuves. »

 

Albus Dumbledore, maître de philosophie

« Lorsque Harry contemple le miroir du Riséd, en désirant que ses parents soient toujours vivants, Dumbledore, en lecteur d’Epictète, l’invite à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde. Lorsque, entre la vie et la mort, le jeune sorcier se retrouve en pensée dans la gare de King’s Cross, il demande à son mentor : « Est-ce que tout cela est réel ? Ou bien est-ce dans ma tête que cela se passe ? » Dumbledore convoque alors Berkeley : « Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi donc faudrait-il en conclure que ce n’est pas réel ? » De fait, pourquoi ce décor, pur produit de l’esprit de Harry, serait-il moins authentique que le prétendu réel, auquel nous n’accédons pas plus, sinon, toujours, à la faveur d’une interprétation de l’esprit ? Enfin, lorsque Dumbledore laisse Harry seul face aux épreuves, ce silence ne relève-t-il pas de la pédagogie platonicienne, qui suppose, de la part de l’élève, un cheminement personnel dans le savoir ? Bien plus que le directeur de Poudlard, Dumbledore est un maître de philosophie. »

Lord Voldemort, le désir d’immortalité

« Voldemort est animé par un refus des aspects tragiques de la vie : se voulant invulnérable, il ne noue aucune amitié ; se voulant immortel, il crée des Horcruxes. Il n’accepterait pas l’éternel retour du même — revivre sa vie à l’identique une éternité de fois, et les joies autant que les douleurs —, test qui, chez Nietzsche, permet de mesurer la bonne santé de notre volonté de puissance. Le sorcier maléfique n’est pas le surhomme nietzschéen, parce qu’il est incapable d’affirmer la vie dans toutes ses dimensions. La véritable force consiste dans cet assentiment à la réalité. Or c’est insuffisant pour Voldemort, qui double le monde d’un autre monde : celui dans lequel ses Horcruxes lui permettent de survivre. Pour Nietzsche, il serait donc l’homme décadent, animé par un instinct de dégénérescence. »

Sirius Black, professeur de liberté

« Lorsque Harry Potter lui confie sa crainte de devenir un jour semblable à Voldemort — compte tenu des liens qui existent entre le seigneur des Ténèbres et lui —, Sirius Black lui fait un cours de philosophie sartrienne. Certes, nous héritons tous de ce que Sartre appelle une « situation » — contexte familial, historique, social, etc. —, mais elle n’est en rien déterminante. Nous sommes libres de nous choisir, quel que soit notre passé. Rien ne nous définit, sinon nos choix et les actes qui les incarnent. Il n’est pas étonnant que ce soit Sirius qui tienne à Harry ce discours de liberté. Il est entré à Gryffondor alors que sa famille se compose de Serpentards et a choisi la résistance contre Voldemort tandis que les siens combattaient pour lui. De même, son frère Regulus, après avoir été un fidèle du seigneur des Ténèbres, est mort en essayant de le détruire : preuve que tant que la mort n’est pas venue clore un parcours il est impossible d’assigner une quelconque essence à quelqu’un. A chaque instant, il peut en effet décider de changer intégralement — suprême pouvoir qui lui donne sa liberté. »

Severus Rogue, la puissance de l’amour

« Tout au long de la saga, Severus Rogue paraît hautain et haineux. On le suspecte d’être un fidèle de Voldemort. Pourtant, le dernier opus nous dévoile une autre vérité : ami d’enfance de Lily Potter, la mère de Harry, il l’aimait passionnément et fut anéanti au point de vouloir mourir lorsqu’il apprit que Voldemort l’avait assassinée. Loin pourtant de trouver dans cette souffrance une raison d’avancer dans la magie noire, il y puise une source de salut. Ce sorcier brillant aurait pu créer une potion pour extirper sa douleur et devenir insensible à jamais, ou se rendre immortel. Bref, il aurait pu sombrer dans le côté obscur, comme Anakin Skywalker dans une autre saga bien connue. »

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