Le petit génie de la série geek mène sa vie en observant la même routine hyper-millimétrée que le grand penseur allemand. Démonstration !
La ressemblance ne saute pas aux yeux, même pour les nombreux fans de Sheldon Cooper. Pour Marianne Chaillan, c’est pourtant évident : le petit génie de la série Big Bang Theory, Sheldon Cooper, mène sa vie en suivant exactement les mêmes règles hyper-millimétrées que le grand penseur allemand Emmanuel Kant. Dans un passage très drôle de son nouveau livre de pop philo Pensez-vous vraiment ce que vous croyez penser ?, la prof compare ces deux personnages, tout aussi réfractaires l’un que l’autre aux contacts humains. Elle rappelle les innombrables manies qui régissent chaque seconde de la vie de Sheldon Cooper et nous révèle l’hommage caché que ce personnage de geek magnifique rend, certainement sans le savoir – puisque leur rapprochement s’arrête là –, à l’une des figures de la pensée morale.
Marianne Chaillan – L’une des clés du succès de la série The Big Bang Theory, dans laquelle nous suivons le quotidien de quatre jeunes scientifiques aussi talentueux que décalés, est sans nul doute le personnage savoureux de Sheldon. Ce n’est pas par hasard qu’une série dérivée prequel (Young Sheldon) a vu le jour pour révéler l’enfance de ce brillant physicien à la personnalité si étonnante. Aussi doué que maniaque, il organise sa vie en fonction de règles strictes qu’il fixe par écrit, dans des contrats précis et détaillés.
De même, il a établi un contrat de colocation avec Léonard Hofstadter lequel stipule, par exemple, que Léonard doit conduire Sheldon au travail ou encore, selon la « Section 37B : Devoirs divers », que Léonard est obligé de conduire Sheldon à ses divers rendez-vous, comme chez le dentiste. Léonard doit également faire un « reniflement de confirmation » pour dire si des produits laitiers douteux sont comestibles. Lorsque Sheldon se douche après Léonard, toutes les mesures doivent être prises pour assurer un approvisionnement suffisant en eau chaude. Le contrat stipule, en outre, que le jeudi soir est nécessairement une soirée pizza ou encore que la sélection d’un nouveau restaurant à emporter nécessite une audience publique et une période de discussions de soixante jours. Les colocataires doivent également faire savoir douze heures à l’avance s’ils souhaitent recevoir un invité. Tout changement dans le mobilier doit être approuvé par le comité d’aménagement (dont l’unique membre est Sheldon lui-même). Enfin, selon l’article 8, paragraphe C, paragraphe 4 – Coitus – Les colocataires doivent donner un préavis de douze heures avant d’engager un coït ! Et ce ne sont que des exemples d’un contrat bien plus long et bien plus détaillé.
On le voit : vivre avec Sheldon n’est pas facile…Et pourtant, vivre sans lui est tout aussi difficile. Dans un épisode, on voit les amis de Sheldon réaliser à quel point l’absence de Sheldon (qui peut paraître reposante de prime abord) laisse un vide qui leur pèse.
Jusqu’à la déraison pure
Si on enlève le côté geek de ce physicien surdoué (son amour pour Star Trek par exemple), nous venons de décrire Emmanuel Kant ! Dans son livre Les Derniers Jours de la vie d’Emmanuel Kant, Thomas de Quincey raconte le quotidien aussi réglé que monotone de l’auteur de la Critique de la raison pure.
On apprend ainsi que tous les jours de l’année, sans exception, quelle que soit la saison, à cinq heures moins cinq précises, le valet de chambre de Kant, qui avait jadis servi dans l’armée, entrait dans
Kant invitait chaque jour quelques amis à dîner, selon des règles strictes : il fallait que la société, lui-même compris, fût de trois au moins et de neuf au plus, car le nombre des convives ne devait pas être inférieur au nombre des Grâces, ni supérieur à celui des Muses. Immédiatement après le dîner, il sortait pour prendre de l’exercice, seul, pour pouvoir méditer, certes, mais aussi pour pouvoir respirer par le nez – ce qu’il n’aurait pas pu aussi bien faire s’il avait été obligé d’ouvrir la bouche pour parler ! Kant effectuait par ailleurs toujours la même promenade, à la même heure, si bien que l’on raconte que les habitants de Kaliningrad prenaient connaissance de l’heure non en regardant leur montre, mais en voyant le philosophe passer ! À son retour de promenade, il s’asseyait à sa table de travail et lisait jusqu’au crépuscule. Lorsque Kant allait se coucher, il avait conçu une manière particulière de s’enrouler dans les couvertures afin de rester parfaitement couvert toute la nuit (il s’enroulait tel une momie). Et s’il devait quitter sa chambre durant la nuit, il avait tendu une corde entre son lit et les W-C pour se guider dans le noir ! Un drôle de personnage indubitablement…
Il est impossible de savoir si les créateurs de la série se sont réellement inspirés de Kant – sauf à trouver une déclaration de leur part en ce sens – ou si la ressemblance n’est que fortuite. On ne peut que constater avec plaisir la similitude de ce personnage de fiction avec le brillant philosophe que fut Kant. Au-delà de cette ressemblance, The Big Bang Theory, comme tant d’autres séries contemporaines, nous permet de réfléchir sans qu’il y paraisse à de nombreuses questions de philosophie.
Propos recueillis par Lauren Malka.